• Prologue

    Léo Marivaux détestait son nom. Encore plus que la vieille folle qui lui servait de proprio, encore plus que son putain de patron, encore plus que ses voisins, un couple de petits vieux qui râlaient lorsqu’il mettait sa musique a fond. Marivaux. Ca puait le fric, l’aristocratie et les cours de français. Et ce monde-la, Léo avait depuis belle lurette décidé de le renier. D’ailleurs, il ne voyait plus sa famille, et s’en portait comme un charme. Il avait son appart, sa musique, sa Gibson et son vieux Noé. C’était ca, sa famille, désormais. Fini les obligations a la con, comme les repas tous ensemble, ou sa mère faisait son traditionnel flan aux légumes, et ou tout le monde s’affublait d’un sourire hypocrite pour ne pas le lui recracher a la tête tellement son truc était dégueulasse. Fini les armadas de vieilles tantes avec leurs Léo comme t’as grandi, Léo quand est-ce que tu nous ramène une fille, Léo il faut que tu te mettes à travailler. Fini, fini, fini…

    Du moins jusqu’au jour ou Grégoire l’appela.

    C’était un vendredi d’Avril normal. Il avait fini son service au magasin à dix-neuf heures, comme d’habitude. Il avait embrassé Nina et Marc trois fois, même s’il avait mis du temps à se faire a cette coutume du Sud. De la ou il venait, la bise, c’était une fois sur chaque joue. Z’étaient bizarres, ces Nîmois. Après avoir salué ses deux collègues, il avait pris son scooter, et était rentré chez lui, dans son petit appart au 3 rue Gustave Flaubert, 2eme étage à gauche. Il avait laissé tomber son sac, avait caressé la tête de son vieux Noé, lui avait filé les restes de la veille, et s’était vautré sur son canapé sous le velux, heureux comme un pape a l’idée du week-end qui s’approchait. Marc assurerait la journée du samedi avec Nina. Il allait pouvoir ne rien foutre pendant deux jours, et ca, c’était carrément l’extase. Peut-être même qu’il ne sortirait pas du week-end. Aussi, lorsqu’il entendit la sonnerie de son téléphone fixe, son moral retomba un peu. Personne a sa connaissance ne l’appelait jamais sur son fixe, ses amis ne voyaient même pas pourquoi il en avait un. C’était forcément un connard qui vendait des portes-fenêtres, ou pire : le gérant du magasin, qui ne lui filait un coup de fil que pour lui gueuler dessus. En soupirant, il décrocha.

    Jamais Léo n’aurait imaginé entendre cette voix-la.

    -Allo ?

    -Heu… Léo ?

    -C’est moi.

    -Salut. C’est… C’est Grégoire.

    Abasourdi, il ne répondit pas tout de suite. Puis, d’une voix plus hésitante, il continua.

    -Grégoire… Grégoire mon frère ?

    -Oui… Ca fait longtemps, hein… ?

    Léo réprima un ricanement. Longtemps, voila comment on disait huit putains d’années, quand on était bien élevé.

    -Pourquoi tu m’appelles ?

    -Hum… Je voulais prendre de tes nouvelles… Et...

    -Fais pas ton faux cul. J’aime pas les mytho, Goire.

    Le surnom qu’il donnait à son frère ainé pendant son enfance sonna bizarrement dans sa bouche.

    -Ah ! Et heu… Je dois t’annoncer quelque chose…

    -Je le savais. Tu sais pas mentir. T’as jamais su.

    -S’il te plait, Léo… Ce n’est pas le moment.

    -Quoi, quelqu’un a cambriolé la maison que t’es dans cet état la ?

    -N-non… Léo, Quentin est mort.

    Clic. On arrête la machine. Plus rien ne tourne. Fin du service. Les bras du jeune homme s’affaissèrent, et son dos retomba contre le dossier de son canapé.

    -Il… Il était un peu ivre, je crois… Et il a pris la voiture avec sa femme, ils sortaient d’une soirée… Ils n’ont pas vu le camion arriver, et…

    Est-ce que Grégoire était vraiment obligé de meubler comme ca ?

    -Malheureusement, Céline est décédée avec lui dans l’accident… C’est, c’est arrivé hier soir, tard.

    Qu’il se taise.

    -Je… Les funérailles auront lieu demain, à une heure, dans l’église de St Germain-en-Laye. Maman m’a dit de te prévenir, alors je…

    -TA GUEULE !

    Silence a l’autre bout de la ligne. Léo raccrocha le bigo avec fureur, et se roula en boule sur son sofa, le visage dans les mains. Quel con, quel con, mais quel con ! Il resta recroquevillé, sans penser, pendant de longues minutes. Son vieux Noé vint poser sa tête contre la sienne. Il avait l’air tout doux, tout vieux, son Noé, avec ses grands yeux marron un peu stupides. Il le caressa machinalement, sans vraiment faire attention. Puis il reprit son téléphone, et composa le dernier numéro appelé.

    -Allo ?

    -Je viendrais.


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